Depuis le numéro 14 de Graffiti, nous vous présentons dans chacune de nos éditions un métier différent à travers un entretien. Ainsi, nous avons rencontré quinze professionnels qui nous ont partagé leur expérience. Pour ce dernier numéro de l’année, nous élargissons notre collection avec un métier plutôt insolite : musicothérapeute.
Graffiti : Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Christine Roillet : Je m’appelle Christine Roillet, j’exerce en tant que musicothérapeute. Avant, j’ai eu une carrière d’artiste : danseuse, comédienne, metteuse en scène… Puis, vers la cinquantaine, j’ai suivi une formation de musicothérapeute, j’avais envie de rencontrer un “public” plus intime. Cette formation je l’ai effectuée au CIM (Centre international de musicothérapie). J’utilise mes compétences artistiques dans un but thérapeutique, avec le chant, l’écoute musicale, les groupes de partage… Depuis cinq ans j’interviens comme musicothérapeute dans différentes structures.
G : Qu'est-ce que la musicothérapie ?
C. R. : La musicothérapie, c’est la musique au service du bien-être. Il s’agit d’accompagner les gens qui peuvent souffrir de différents maux, de diverses pathologies, mais aussi d’accompagner des gens qui ne souffrent pas mais qui sont victimes de perte de mémoire, de déficience cognitive, au niveau de la parole. Avec la musicothérapie, on va solliciter la mémoire émotionnelle. L’avantage de la musicothérapie, c’est qu’elle permet d'intervenir auprès de gens aphasiques, c’est-à-dire qui n’ont plus accès à la parole ou à la mobilité, mais sont capables d’entendre. Avec la musique, on arrive à les solliciter, à les réveiller, à les émouvoir.
Il y a deux grands types de musicothérapie : la musicothérapie réceptive et la musicothérapie active. Avec la musicothérapie active, le patient participe : chante, fait des rythmes… Je vais donc travailler musicalement avec lui. Par exemple, je peux faire tout un programme de chansons adapté à la personne, avec des mélodies qu’elle a entendues dans sa jeunesse, et dont elle se souvient, des décennies plus tard - alors même qu’elle ne se souvient jamais de mon prénom, et je viens tous les quinze jours ! C’est impressionnant !
G : Jouez-vous d’un instrument en particulier ?
C. R. : Oui, je suis spécialisée dans la guitare ; je joue de la guitare et je chante.
G : Comment choisissez-vous les chansons ou les morceaux que vous jouez au patient ?
C. R. : Ce n’est pas moi qui les choisis, c’est lui ; pour que la thérapie fonctionne, il faut que ce soit des chansons qu’il connaît, qu’il a entendues, même si bien sûr, j’ai un registre, un réservoir. Pour les gens qui n’ont pas les capacités d’exprimer un souhait, je demande à leur famille. Une fois la musique choisie, je la travaille, et je la chante avec lui. D’un autre côté, j’ai mes limites : même si j’ai un patient qui aime bien l’opéra, n’étant pas chanteuse d’opéra, je ne peux pas me mettre à en chanter du jour au lendemain avec ma guitare. Je travaille donc également avec une tablette et une enceinte. Et parfois on observe des choses incroyables ! Par exemple, il y a quelque temps, j’ai travaillé avec une dame, atteinte de la maladie d'Alzheimer au dernier degré, qui n’avait plus aucune réaction. Et lorsqu’elle entendait de l’opéra, elle revenait, on ne sait pas d’où elle revenait, mais elle revenait, un petit moment, avant de repartir. C’est très émouvant.
C’est vraiment un métier très chouette, on apprend non seulement à écouter les autres, mais également à s’écouter soi-même.
G : Dans quels milieux intervenez-vous ? Avez-vous votre propre cabinet ?
C. R. : Non, je n’ai pas de cabinet. Je me déplace dans les structures. Pour les patients, c’est important de créer un cadre pour travailler la mémoire. À l’hôpital par exemple, le cadre c’est la salle de consultation, je suis en blouse blanche ; je suis identifiée comme une soignante. Ça instaure une situation de confiance. Ceci-dit, lorsque j’interviens dans les foyers ou dans les EHPAD, je ne porte pas de blouse.
G : Comment se déroule une séance type ?
C. R. : À l’hôpital, j’ai ma salle de consultation où je reçois les patients souffrant de maux chroniques. Ces patients ont des âges très variés, et n’ont pas de pathologie cognitive ; je ne fais pas directement de travail de chant. Généralement, ils souffrent de traumatismes pelviens, puisque c’est la spécialité du médecin avec qui je travaille ; la consultation débute par un processus verbal, j’établis une anamnèse qui me donne le paysage musical du patient, puis, la séance suivante, je propose une relaxation musicale...
G : Les musicothérapeutes sont-ils des médecins ?
C. R. : Non, ce sont des thérapeutes, une branche de la psychologie, avec des connaissances musicales. D’ailleurs, je vais bientôt faire une formation à l’Université Caen sur la neurologie appliquée à la musicothérapie, sur l’impact de la musique sur le cerveau. Par exemple, on peut utiliser la musicothérapie avant une opération pour détendre le patient. S’il est détendu, il aura besoin de moins d'anesthésiant et pour récupérer plus vite à la fin de l’opération. On utilise également la musicothérapie en prénatal, dans les salles de couveuses pour couvrir le bruit des machines. Donc il y a plein d’applications concrètes à la musicothérapie, mais qui ne sont pas forcément focalisées sur la maladie, plutôt sur l’accompagnement.
G : Est-ce que des études sont requises pour devenir musicothérapeute ?
C. R. : Pour l’instant, la formation de musicothérapeute vous pouvez la faire dans différents instituts de musicothérapie, à Nantes, à Dijon, à Paris. Et à la fac, dans le secteur Art-Thérapie, vous avez de la musicothérapie, avec différents modules et un cursus de deux ou trois ans. Donc il y a différentes voies. Il y a d'autres pays, comme l’Allemagne ou le Canada, dans lesquels c’est beaucoup plus compliqué : il faut avoir un Bac +5, des diplômes de psychologie, un Diplôme d’État de Musique…
G : Est-ce que le coronavirus a affecté vos méthodes de travail ?
C. R. : Oui, bien sûr. Depuis le début de la pandémie, je n’ai plus le droit de chanter à l’hôpital par exemple. Et puis, parler et chanter avec un masque, c’est vraiment compliqué ; j’ai un masque particulier, en plastique transparent, pour que les patients ayant des problèmes cognitifs puissent me comprendre. Donc oui, toutes ces mesures ont été très pénibles.
G : Pour conclure, auriez-vous un conseil pour les éventuels futurs musicothérapeutes lecteurs de Graffiti ?
C. R. : Il faut essayer ! C’est vraiment un métier très chouette, on apprend non seulement à écouter les autres, mais également à s’écouter soi-même.
Merci beaucoup à Christine Roillet d’avoir répondu à nos questions !
Propos recueillis par Alexandre Barbaron