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Photo du rédacteurVenise Balazuc- -Schweitzer

Un métier, une interview : musicien

Karol Beffa est un pianiste, musicologue et compositeur ayant notamment reçu deux Victoires de la musique classique en 2013 et en 2018. Une de ses grandes spécialités : l’improvisation.


Graffiti : Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?

Karol Beffa : Quand on me demande quel est mon métier, je réponds que je suis compositeur, mais j’ajoute parfois « de musique classique, contemporaine, accessible ». Classique, parce que je n’écris pas de la pop ou de la variété. Contemporaine, parce que je suis toujours en vie ! Accessible, parce que je crois qu’il n’y a pas besoin d’être un musicien spécialisé pour apprécier ma musique : elle parle en général à toute personne un peu mélomane. Je suis également pianiste et je donne fréquemment des concerts, qui sont le plus souvent (mais pas toujours) des concerts d’improvisation. Il m’arrive aussi de jouer des pièces du répertoire, par exemple du Bach, du Chopin…

Par ailleurs, depuis 2004, je suis Maître de conférences à l’École normale supérieure. À ce titre, j’enseigne et j’effectue des recherches en musicologie, c’est-à-dire que j’écris des articles et des livres.


G : Quels rapports y a-t-il entre ces professions ? Quel rôle l’enseignement joue-t-il dans votre travail de compositeur et vice-versa ?

K. B. : J’aime faire découvrir des choses aux autres, et c’est ce que j’essaie de faire dans les cours d’histoire de la musique ou les conférences que je donne. Faire découvrir des compositeurs rares… ou au contraire des compositeurs tellement connus qu’on ne sait plus pourquoi on les aime. À travers eux, à côté du travail d’analyse de leurs partitions qui est nécessaire, je m’interroge sur moi-même et je me livre d’une certaine façon à un travail d’introspection pour tenter de mettre au jour les raisons qui font que je les aime. Car tous ces compositeurs que je veux faire connaître sont des compositeurs que j’aime : il me serait difficile de faire cours sur un musicien qui serait mon opposé. Le grand compositeur du XIXe siècle César Franck disait qu’il avait autant appris de ses élèves que de ses professeurs. Il y a bien sûr une part de coquetterie dans sa formulation, mais je ne suis pas loin de penser de même. Mes élèves m’incitent à accroître ma connaissance du répertoire. J’essaie d’aborder chaque année de nouveaux compositeurs, et si je fais cours sur le même compositeur que l’année d’avant, j’en analyse d’autres œuvres. La présence d’étudiants, par leurs questions - en particulier s’il s’agit de questions pointues, par exemple sur l’harmonie - stimule ma réflexion et ma manière de résoudre les problèmes de compositeur auxquels je suis confronté quand j’écris de la musique.



Karol Beffa
Karol Beffa

G : Quelles sont vos plus grandes influences musicales et artistiques en général ?

K. B. : J’aime les compositeurs qui sont de grands harmonistes : Purcell, Bach, Mozart, Schubert, Chopin, Schumann, Wagner, Brahms, Fauré, Debussy, Ravel, Messiaen, Dutilleux… Les cinq derniers sont français. On dit parfois que « le style français » met l’accent sur l’harmonie, mais il privilégie aussi la couleur, l’orchestration, les textures - toutes qualités auxquelles je suis sensible.

Si l’on quitte la musique pour envisager les autres arts, j’avoue que je suis un inconditionnel de Proust. D’autres auteurs et certains artistes ont aussi influencé mes recherches de compositeur. J’ai approfondi leur connaissance pendant les vingt années où j’ai travaillé sur le compositeur hongrois György Ligeti. Ce sont Lewis Carroll, Borges, Kafka, Queneau ; Piranèse, Magritte, Escher… Les thèmes qu’ils abordent - et qui sont chers à Ligeti - relèvent des mêmes obsessions : machines, labyrinthes, mystère du double, mises en abîme, concepts d’infini et de répétition… Ils partagent aussi quelques traits de caractère : rejet du pathos, attirance pour le rêve, goût pour la logique et ses paradoxes, l’absurde, un humour noir parfois cruel…

Cependant, si vous me demandiez qui est mon compositeur préféré, je vous répondrais probablement : « Ravel ». Ce n’est sans doute pas un hasard si, avec Guillaume Métayer - mon ami et complice de longue date -, nous avons coécrit sur la vie de ce musicien extraordinaire un roman graphique et une fiction pour la jeunesse (Le Mystérieux Boléro).


G : Vous êtes connu comme un grand improvisateur. Comment fonctionne une improvisation ?

K. B. : Accompagner un film muet ou des lectures de textes est une activité que je pratique souvent et avec grand plaisir. Pour cela, il faut maîtriser l’art du pastiche, c’est-à-dire savoir imiter le style des autres compositeurs, grâce à quoi on a ultérieurement à disposition une palette de couleurs et de climats variée. Par exemple, si l’on veut suggérer mystère, angoisse, folie, ou simplement quelque chose d’insolite, on pourra aller chercher du côté post-romantique, debussyste, franchement atonal - voire bruitiste. Il faut aussi trouver le point d’équilibre entre concentration extrême et lâcher prise, ce qui est essentiel pour construire une improvisation qui soit à la fois cohérente et pleine d’imagination.


G : Et quand l’on compose, comment fait-on ?

K. B. : Cela dépend beaucoup du compositeur, j’imagine. En ce qui me concerne, je passe le plus souvent par une longue période préparatoire où j’essaie de traquer l’inspiration pour m’arracher à moi-même des idées musicales dont je sois à peu près satisfait. Je les essaie au piano, je les couche sur le papier, un peu en désordre, sous la forme d’esquisses. Puis, progressivement, l’idée d’une forme générale, d’une structure, commence à germer dans mon esprit. Et si cela fonctionne bien, il me suffira de mettre ensemble les esquisses en fonction de ce plan, un peu comme lorsqu’on assemble les pièces d’un puzzle.


G : Diriez-vous que la musique, et plus particulièrement la vôtre, délivre un message ? Et si oui lequel ?

K. B. : La musique est un art assez peu mimétique : c’est un art des sons, pas un art de la parole ou de l’image. Il lui est donc difficile, à elle seule (quand elle est purement instrumentale, c’est-à-dire ni vocale, ni chorale) de raconter des histoires ou de faire passer un message. Il n’empêche que si ma musique suscite des images mentales chez un auditeur qui l’écoute, j’en ressens une certaine fierté. En fait, je dirais simplement que j’essaie d’écrire la musique que j’aimerais moi-même entendre et réentendre au concert. Ça peut paraître peu, mais en réalité, c’est déjà beaucoup…


Propos recueillis par Venise Balazuc- -Schweitzer

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