Dans chaque numéro, et ce depuis la reprise du journal en septembre 2019, nous vous présentons une profession par le biais d’un entretien. Méconnus pour certains (vélotypiste, Graffiti n°21), politiques pour d’autres (député, Graffiti n°19)... Nous élargissons aujourd’hui notre collection en partant à la rencontre d’Anna-Maria et Patricia, toutes deux gardiennes d’immeuble.
Graffiti : Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Anna-Maria : Moi, c’est Anna, j’ai une fille de ving-six ans, je suis gardienne, je fais le ménage pour certaines personnes et je m’occupe des personnes âgées.
Patricia : Je m’appelle Patricia, j’habite dans le quartier en face, je suis la maman d’un enfant de 8 ans, je suis gardienne également et je suis aussi femme de ménage.
G : Pouvez-vous présenter votre métier ?
A.-M. : Le métier de gardien a plusieurs facettes, c’est cool d’un côté et pas cool de l’autre. Du côté de l’entretien de l’immeuble et du ménage, ce peut être parfois difficile. Aussi, vis-à-vis des habitants de l’immeuble, il y a des personnes tout à fait adorables et d’autres… moins. Sinon, dans l’ensemble, tout se passe bien. Les voisins sont sympas, il y a une bonne ambiance, on prend parfois du café dans la cour. C’est un métier prenant et le contact que l'on a avec les gens est très enrichissant.
P. : En effet, le métier de gardienne c’est un métier d’entretien mais surtout de service. Nous rendons service pour les habitants dans l’immeuble, c’est surtout le cas maintenant pendant le confinement, et aussi pour les voisins du quartier. Pendant le confinement, les personnes âgées ne pouvaient presque pas sortir. Je me suis donc pas mal occupé de ces personnes, même en dehors de mon immeuble. J’adore le contact avec les gens et, pour moi, le métier de gardienne permet d’avoir ce contact et de bien connaître ces voisins, ce qui est rare à Paris. Avec le confinement les liens se sont resserrés, il y a quelque chose de soudé. Ici c'est un peu comme un immeuble de famille, on se dépanne entre nous. C’est un échange.
G : Quels sont vos rôles au quotidien ?
A.-M. : Le matin, tu te lèves, tu te débarbouilles, tu prends ton p’tit déj et puis au boulot ! Il faut sortir les poubelles et balayer l’entrée tous les jours, donner un coup de balai à l'extérieur, sur les trottoirs sales, puis le courrier arrive, qu’il faut ensuite monter. Puis, il faut ressortir les poubelles dans l’après-midi. Je ne suis pas à temps plein à la loge. J’y suis le matin et quelques heures l’après-midi. Aussi, si une ampoule casse il faut la changer, il faut nettoyer la porte vitrée tous les jours, et l'ascenseur aussi. On nettoie l’escalier une fois par semaine. C’est une habitude, un roulement tous les jours. On le fait automatiquement. Après, dans mon contrat je ne dois pas forcément nettoyer les vitres tous les jours, mais je le fais quand même. Ce n’est pas que je suis maniaque, je n’aime pas voir les traces de doigts sur les vitres, ça m’agace, c’est pour ça que je le fais tous les jours.
P. : En fait, l’ampleur des tâches dépend du contrat avec le propriétaire. Moi, je fais tout une fois par semaine, mais si je vois que l’entrée est sale, même si ce n’est pas dans mon contrat, je la nettoie, parce que je préfère que mon immeuble ait une bonne image. Je ne suis pas obligé de le faire, je le fais parce que je le veux. Je crois finalement que, dans notre métier, on est assez libre dans la manière dont on gère notre travail suivant les besoins. Par exemple, dans mon immeuble il y a beaucoup de travaux, donc j’ai la clé de tout le monde ; c’est moi qui ouvre les portes, qui les ferme, qui surveille le travail qui se déroule dans les appartements. Le travail de gardienne, ce n’est pas qu’être gardienne chez soi. Ça inclut beaucoup de choses. Certaines personnes le font plus volontiers que d’autres. On est quand même très libre de gérer notre temps.
A.-M. : Ce qui arrive aussi, c’est que des locataires ou des propriétaires oublient leur clé et qu’il faille leur ouvrir à minuit. C’est déjà arrivé ici. C’est rare, mais ça peut arriver.
G : Qu’est-ce qui fait d’un concierge un bon concierge d’après vous ?
A.-M. : À mon avis, il faut avoir une bonne relation avec tout le monde. Si tu n’as pas une bonne relation avec tout le monde, c’est l’enfer !
P. : Il faut aussi savoir écouter les gens. C’est un travail un peu psychologique en fait. Le gardien entend et connaît tous les problèmes de l’immeuble, mais en même temps on sait qu’il faut écouter et ne pas remonter ce qu’on nous dit aux autres voisins, surtout quand il y en a qui ne s’entendent pas très bien entre eux. Être gardienne c’est surtout être une personne souple, de confiance, discrète.
G : Devez-vous être mobilisables à toute heure de la journée et de la nuit ?
P. et A.-M. : Nous ne sommes pas obligées. On le fait parce qu’on a du mal quand il arrive que les gens se trouvent dehors à trois heures du matin parce qu’ils n’ont pas leur clés ou qu'ils ont oublié le code de l’immeuble ! Il n’y a pas très longtemps, quelqu'un a oublié le code. Il était dehors à 23h30. Il m’a appelé sur mon portable, je dormais, je me suis levé, je suis allée lui ouvrir la porte.
P. : On est polyvalent. Il se passe beaucoup de choses dans l’immeuble. Même pour les travaux et tout ça : quand il y a des travaux dans les appartements, et que les personnes ne sont pas sur place, j’ai beau ne pas m’y connaître, il faut que je surveille les travaux. Ce n’est pas dans mon contrat, mais je me mobilise pour ça quand même. Si on peut aider, rendre un peu service, ça ne me dérange pas.
G : Pour réaliser cet entretien, nous sommes passées par une petite porte, au fond du foyer de l’École. Anna-Maria, pourriez-vous expliquer le lien qu’il y a entre l’immeuble dont vous vous occupez et l’École alsacienne ?
A.-M. : Avez-vous connu Mme Colombani [ancienne C. P. E. du lycée, NDLR] ? Elle a habité pendant très longtemps dans cet immeuble, au 111 rue Notre-Dame-des-Champs. L’École alsacienne a des appartements ici. Un appartement au quatrième étage, deux studios à côté de la loge. Ils servent pour les échanges internationaux, quand des professeurs étrangers viennent accompagner des groupes d’élèves. Depui que je suis arrivé ici, je me suis toujours bien entendue avec Mme Morin, puis M. Blanc, et maintenant Mme Royaï, de l’intendance. Il y a une personne à l’École qui est super sympathique, c’est M. De Panafieu. Son chien est adorable. J’ai toujours eu une bonne entente avec l’École.
Vous savez, derrière le foyer, un arbuste a dû être coupé parce que certains élèves sortaient fumer une cigarette dans mon petit jardin derrière un buisson ! S’il y a un problème quelconque, je peux aller dans l’École. En toute franchise, je n’ai jamais un seul problème avec eux.
G : Quelles sont vos motivations pour être concierge ?
A.-M. : Moi, c’est quand je me lève, quand je sors les poubelles, que je passe un coups de balai et que je rencontre tout le monde. On discute, on rigole, cela me donne la pêche pour continuer la journée.
P. : Pour moi c’est le contact avec le propriétaire et les locataires, me réveiller et pouvoir dire que je peux rendre service à telle ou telle personne parce qu'ils ont un besoin ou une difficulté. Le fait de les croiser, de les écouter, savoir que tout le monde va bien dans l’immeuble, voilà !
G : Quels sont les risques du métier ?
A.-M. : Il y a des risques liés au travail manuel car on peut se blesser, tomber avec la poubelle comme cela m'est déjà arrivé (quand les poubelles sont lourdes, elles sont lourdes !), ou tomber de l’escabeau en changeant une ampoule.
P. : C’est surtout triste quand il y a un voisin qui est décédé, que la famille habite très loin et qu’il faut les appeler pour leur signaler ce qui c’est passé. A ce moment-là il faut aussi appeler les pompiers, en général il y a la police. C’est quand même une grande contrainte de notre métier. Je ne souhaite cette expérience a personne.
Aussi ce qui peut être contraignant pour nous c’est le risque de vol, des jeunes bourrés qui arrachent le couvercle de la poubelle ou de gens qui veulent rentrer dans l’immeuble, ce qui m'est déjà arrivé plusieurs fois. J’ai déjà dû me lever - en chemise de nuit et avec mon balai - pour essayer de les attraper tout en appelant la police. En général je n’ai pas peur, mais il y a des petites histoires comme ça qui s’accumulent avec le temps dans ce métier.
G : Merci beaucoup, Anna-Maria et Patricia, d’avoir répondu à nos questions !
Lydia Knapp et Élodie-Yuna Nguyen- -Kang