Alors que les Jeux olympiques de Paris approchent à grands pas, la question de la réintégration des athlètes russes (qui participaient déjà sous bannière neutre à cause de scandales de dopage) et biélorusses dans les compétitions internationales se pose.
Vendredi 10 mars, lors d’un congrès extraordinaire, la Fédération Internationale d’Escrime (FIE) a voté pour la réintégration des athlètes russes et biélorusses, un peu plus d’un an après les avoir écartés des compétitions, comme la plupart des autres fédérations internationales. À l’époque, le Comité International Olympique (CIO) avait été clair : le 28 février 2022, il avait recommandé « de ne pas inviter ni autoriser la participation d'athlètes et d'officiels russes et biélorusses aux compétitions internationales », ce que la majorité des fédérations avait suivi.
Toutefois, depuis janvier, le président du CIO Thomas Bach a laissé entendre que la porte était ouverte au retour des athlètes bannis. Le 28 mars, lors de la réunion de la commission exécutive du comité, il a alors recommandé leur retour « sous conditions » : leur neutralité (pas de drapeau, hymne russe…), le fait qu’ils n’aient pas explicitement soutenu la guerre et ne soient pas affiliés à l’armée russe. Toutefois, la commission exécutive insiste sur le fait que la responsabilité de ce choix demeure celle des fédérations, et ne tranche pas encore pour les Jeux olympiques à venir à Paris.
Cet équilibre ne fait que placer les fédérations internationales face à un dilemme cornélien, d'autant plus que les épreuves qualificatives pour les prochains Jeux débutent prochainement ou, pour certaines, ont déjà commencé. C’est le cas de l’escrime, qui envoie des athlètes aux compétitions olympiques sur la base d’un classement sur une année entière, entre avril 2023 et avril 2024. Elles ont donc dû décider rapidement, avant même l'avis du CIO. Cependant, l’escrime est un sport dans lequel les athlètes russes tiennent une place de choix, avec trois titres olympiques à Tokyo en 2021.
Face à cette décision, plusieurs fédérations européennes d'escrime ont d'ores et déjà renoncé à organiser leur étape de qualifications : c'est le cas de l'Allemagne, de la Pologne et de la France. Ainsi, le Challenge Monal, événement de la Coupe du monde d'épée, n'aura pas lieu du 19 au 21 mai. Aux yeux de la Fédération Française d'Escrime (FFE), les critères de « neutralité » n'étaient pas suffisamment clairs, d'autant plus que, dans le cas des athlètes russes, cela ne changeait pas grand-chose puisqu'ils participaient déjà sous bannière neutre après la découverte d'un système pour aider les athlètes à se doper, et ne permettaient pas à la FFE d'organiser l'épreuve. De plus, ces critères de neutralité voulus par le CIO se heurtent à la réalité : selon l'agence officielle russe Russia Beyond, la moitié des médailles russes aux JO de Tokyo ont été obtenues par des sportifs employés par l'état russe (armée, ministère de l'intérieur, gardes nationaux). De son côté, le ministre ukrainien des affaires étrangères affirme que 45 des 71 médaillés russes faisaient partie du CSKA Moscou, club ayant des liens avec l'armée russe. Ainsi, les critères de neutralité énoncés reviennent soit à interdire une grande partie des athlètes russes, soir à autoriser des membres de l'appareil d'État ayant attaqué l'Ukraine à participer. Cela découle de la politisation du sport par le régime de Poutine, digne héritier des soviétiques. Le sport est utilisé pour attiser le patriotisme : les résultats olympiques sont censés refléter la grandeur voulue de la Russie. Il est donc difficile, presque impossible, de séparer athlètes et régime russes.
Au-delà des questions philosophiques et pratiques que cette situation engendre, nous pouvons voir la division des fédérations de chaque pays en deux blocs : d'un côté les Occidentaux qui s'opposent à toute réintégration des athlètes russes et biélorusses, et de l'autre la plupart des autres pays, d'Asie et d'Afrique notamment, qui soutiennent leur retour. Cette division est matérialisée par le vote du congrès extraordinaire de la FIE : 89 fédérations nationales ont voté pour la réintégration, alors que 47 pays ont voté contre. De son côté, le président de la fédération américaine d'escrime, Phil Andrews, souligne qu'il y a seulement 104 jours, 77 % des pays membres de la FIE votaient pour étendre l'interdiction des athlètes russes et biélorusses, et se demande ce qui a changé au cours de cette période. D’après Lukas Aubin, chercheur en géopolitique interrogé par Le Monde, le « discours anti-occidental [de la Russie] semble avoir fonctionné ».
Après cette décision, la FFE a subi de nombreuses critiques, y compris de la part d'athlètes : une lettre signée par plus de 300 escrimeurs (actifs et retraités) demande au CIO de « maintenir » la suspension des athlètes russes. Ces voix n'ont toutefois pas fait fléchir la FIE et n'ont pas découragé la Fédération Internationale de Tennis de Table (ITTF). Vingt jours plus tard, celle-ci est devenue la deuxième fédération à franchir le pas de la réintégration, faisant notamment valoir l'idée que le sport peut encourager la paix.
Face à ces décisions, qui ne seront probablement pas les dernières prises par les fédérations internationales, le gouvernement ukrainien a interdit à ses athlètes de participer à une compétition dans laquelle serait en lice un athlète russe. L'Ukraine envisage également de boycotter entièrement les Jeux olympiques de Paris. De quoi donner du fil à retordre aux organisateurs…
Et vous, qu'en pensez-vous ?