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Photo du rédacteurVenise Balazuc- -Schweitzer

Les Services médicaux aux JO : entretien avec Pierre Mauger

Nous avons eu la chance de rencontrer Pierre Mauger, responsable des services médicaux pour le Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop). Travaillant sur le projet depuis 2020, il s’est occupé de mettre en place toutes les structures médicales afin de prendre en charge athlètes et spectateurs lors des Jeux olympiques de Paris 2024.



Graffiti : Quels ont été votre formation et votre parcours ?

Pierre Mauger : J’ai réalisé des études de médecine à Paris. Il n’y avait pas de spécialités à l’époque pendant la formation, donc je suis devenu généraliste, puis j’ai fait deux années d’études supplémentaires pour devenir urgentiste. Par la suite, j’ai été contacté par le club Stade Français qui cherchait un médecin ; j’avais moi-même joué au rugby quand j’étais plus jeune. C’est ainsi que j’ai passé des diplômes pour être médecin du sport, en plus de mon statut d’urgentiste.


G : C’est en 2020 que vous avez été nommé responsable des services médicaux pour le Comité d’organisation des jeux olympiques et paralympiques. Comment est-ce arrivé ?

P. M. : Lors des championnats d’Europe de football en 2016, j’étais déjà responsable de ce secteur. Lorsqu’une annonce a été publiée pour les JO, nous étions peu à avoir les compétences requises pour ce poste. Je suis ainsi entré dans le comité en novembre et ai fait partie des premiers membres opérationnels.


G : En quoi consiste votre mission ?

P. M. : Notre tutelle vient du CIO (Comité international olympique) qui impose un cahier des charges lors de l’accueil des JO. Le contrat a été signé avec le CNOSF (Comité National Olympique et Sportif Français) et la Ville de Paris. 13,5 millions de billets ont été vendus pour les JO, il est donc nécessaire que nous soyons synchronisés.

Nous aurons des services médicaux sur plusieurs périmètres car, ainsi que le stipule la réglementation des GESI (Grands Événements Sportifs Internationaux), nous nous devons d’installer des infirmeries pour les athlètes et les spectateurs sur chaque site.

Nous devons aussi fournir aux athlètes un centre de médecine, la polyclinique du village olympique, qui a été entièrement conçu pour l’événement. En effet, si certaines grosses délégations ont des médecins, comme la délégation américaine, d’autres en sont démunis ou manquent de supports techniques spécifiques. Le centre pourra accueillir jusqu’à 700 personnes quotidiennement - un vrai défi puisque les plus grands hôpitaux français en accueillent 300. Les athlètes pourront s’y rendre pour des consultations médicales en cardiologie, gynécologie, kinésie, ophtalmologie, dentaire, mais aussi pour de la rééducation, des radiographies, des IRM etc. À la différence des urgences, les prises en charge seront sur rendez-vous par l’intermédiaire d’une application.

La polyclinique ayant été créée pour deux mois, la majorité du matériel correspond à du prêt. Un accord a été passé avec l’APHP (Assistance Publique - Hôpitaux de Paris), auquel nous louons certains supports techniques comme les IRM, en nous assurant que cela n’engendre pas un manque pour les hôpitaux.

Enfin, trois hôpitaux ont été désignés référents pour les cas particuliers : l’hôpital Bichat pour les soins lourds des athlètes, l’hôpital Pompidou pour la famille olympique (soit tout le CIO et les fédérations internationales) et l’hôpital Avicennes pour les journalistes.


G : Le travail de préparation a duré près de quatre ans. Quelles ont été les procédures ? 

P. M. : La polyclinique était obligatoire, cependant, en France, nous n’avons pas le droit de créer d’hôpital, d’où la convention avec l’APHP. Il a donc fallu faire une modification législative qui a pris un certain temps. De plus, il fallait trouver les bâtiments et avoir les autorisations pour les pharmacies et autres dispositifs.


G : Cela doit demander une très grande mobilisation de soignants. Êtes-vous en partenariat avec des associations et quelle place pour les bénévoles ?

P. M. : Lors des JO de 1948, soit les premiers après la fin de la Seconde Guerre mondiale, qu’on a qualifiés de “jeux de la reconstruction”, toute la nation a contribué à l’organisation des épreuves. C’est ainsi qu’est né un programme important, portant un message et des valeurs fortes, consistant à employer des volontaires.

Bien que la culture du volontariat ne soit pas très développée en France, ce système, imposé par le CIO, fonctionne très bien. Les quelques 3 000 chefs de service sont salariés et les 45 000 autres soignants sont volontaires. Les hôpitaux ont d’abord réalisé leur liste de garde, puis nous avons lancé une campagne de recrutement, en nous assurant que chaque personne était qualifiée et en mesure de remplir son rôle. La motivation était élevée, certains médecins ont même posé des vacances pour pouvoir aider.

Cinq associations ont aussi répondu à l’appel d’offre, fournissant 8 000 secouristes. De cette façon, des binômes médico-secouristes pourront travailler sur les stades. 


G : Quels sont les grands “soucis” auxquels les équipes pourraient être confrontées et quels plans sont mis en place pour les prévenir ? 

P. M. : Nous avons réalisé une cartographie des risques allant de 1 à 5, afin d’identifier tous les risques, leur occurrence et leur impact. Ce dernier peut évoluer, comme par exemple pour le Covid-19, qui était de 5 il y a quatre ans et est maintenant de 2. 

L’élément principal qui peut être cause de difficultés est une météorologie extrême, entraînant une canicule, des orages, des crues. Nous avons ainsi mis au point un plan de contingence permettant d’apporter des réponses à trois niveaux. La première serait de fournir plus d’eau, la deuxième de générer des zones d’ombres ou climatisées et la troisième d’annuler et de reporter les épreuves.

Dans le cas d’une infection, d’autres protocoles ont été élaborés. En effet, il peut s’agir d’une contamination classique ou importée par des athlètes étrangers, par exemple venant de l’hémisphère sud où la grippe survient plus tôt dans l’année et avec laquelle nous n’avons jamais été en contact. Afin de parer à ces situations, des mesures barrières sont mises en place.

Nous avons aussi des mesures de prévention dans la lutte antivectorielle contre les moustiques autour des villages et de certains lieux.



G : Qu’en est-il de la décision de nager dans la Seine, qui a soulevé nombre de débats ?

P. M. : Tout d’abord, il faut savoir que chaque fédération établit des seuils de concentration de bactéries ou produits chimiques pour lesquels les épreuves peuvent avoir lieu.

Depuis trois ans, la Ville de Paris travaille sur des bassins de rétention et autres dispositifs pour nettoyer la Seine en vue des épreuves. Des capteurs sont installés et analysent en permanence la composition de l’eau. L’année dernière, les conditions étaient insuffisantes seulement 10 % du temps, et toutes les mesures n’étaient pas encore en place, nous avons donc toutes les raisons de penser que tout devrait aller pour le mieux. Par rapport à Tokyo ou Rio par exemple, la situation est incomparablement plus favorable. 

Les vrais risques proviennent des niveaux de chaleur et des gros orages. En effet, ces derniers feraient glisser les déchets d’hydrocarbures dans la Seine, ce qui obligerait à reporter les épreuves. Afin de parer à cette éventualité, les fédérations ont déjà prévu de secondes dates, et si la situation est réellement impossible, des alternatives sont trouvées. Par exemple, le triathlon deviendra un duathlon où le temps à vélo sera doublé.


G : Et pour la tour en Polynésie?

P. M. : La tour des juges, située en face de la vague, ne pouvait être certifiée en raison de son état, nous étions donc obligés d’en construire une nouvelle. Cela a généré des conflits importants, mais ils ont pu être résolus grâce à la communication. Selon moi, il faut voir cette nouvelle tour comme un héritage, car elle est maintenant plus verte, neuve, belle et fonctionnelle. C’est donc plutôt une situation gagnant-gagnant. 


G : Existe-t-il des différences pour les Jeux paralympiques ?

P. M. : Les structures et le fonctionnement seront les mêmes. Certains médecins spécialisés seront nécessaires en plus, tels que les dermatologues. Un élément essentiel est que l’IPC (Comité international paralympique) a un contrat avec une entreprise allemande spécialisée dans la réparation de fauteuils et prothèses. Ils auront donc des espaces sur différents sites pour pouvoir pallier des problèmes de dernière minute.

Par ailleurs, la prévision logistique se passe différemment puisque, malheureusement, les billets ne sont pas achetés autant à l’avance. Il s’agit plutôt de réservations de dernière minute lors des JO, quand les gens souhaitent renouveler leur expérience ou qu’ils n’ont pas encore assisté à des épreuves et souhaitent se rattraper.


G : Ce “rêve de gosse” ainsi que vous le décrivez dans un entretien pour Secours Mag, va bientôt se réaliser, après plus de quatre ans de préparation. Est-ce que l’arrivée de la flamme à Marseille le 8 mai a correspondu à un premier aboutissement ?

P. M. : Le parcours de la flamme n’est pas corrélé en termes de temps avec notre travail. Mon jour focus est le 12 juillet, mais surtout le 26 juillet, quand près de 400 000 spectateurs viendront assister à l’ouverture des JO et que toutes les fédérations seront présentes sur des bâteaux. Nous ne sommes pas encore tout à fait prêts, il reste des choses à finaliser, mais je ne doute pas que l’on va s’en sortir ! 


G : Selon vous, est-ce que l’organisation et le projet final sont satisfaisants ?

P. M. : Les JO 2024 représentent une grande avancée, car c’est la première fois que le bilan carbone est neutre (ainsi, rien n’a été envoyé vers Tahiti comme matériel médical par exemple) et que l'entièreté des épreuves est paritaire. Leur organisation à Paris est un projet extrêmement ambitieux et sans précédent. Cette ambition oblige à des innovations qui modifient nos habitudes. Si nous avions déjà accueilli la Coupe du monde de football ou de handball, jamais nous n’avons eu 35 championnats du monde en même temps à Paris. Le maître mot était donc “rupture capacitaire" : il fallait innover pour s’en sortir.

Ceci, évidemment, impacte la population et soulève des mécontentements, mais il est important de se rappeler que si Paris a déposé sa candidature, c’est l’engagement de la France toute entière. La communication est essentielle, ainsi que l’a montré la polémique sur les bouquinistes. Il a parfois fallu adapter certains règlements ou dispositifs, mais cela fait partie du côté fou des Jeux. 

Enfin, les JO auront un impact longue durée, comme les infrastructures construites à cette occasion, le développement des transports ou encore le dispositif des trente minutes de sport encadré par jour dans les écoles, qui va peut-être s’étendre aux entreprises. En effet, Paris 2024 a été conçu en cohérence avec une évolution sociétale importante.


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