Récemment mise en scène par Alain Françon à l’Odéon - Théâtre de l’Europe, dans la salle Berthier, La Seconde Surprise de l’amour est une pièce en trois actes et en prose de Marivaux (1688-1763). Cette comédie ironique tourne autour de la surprise des personnages de pouvoir aimer une seconde fois.
« Il n’y a plus de consolation pour moi [...] Je dois soupirer toute ma vie » : ainsi se lamente la Marquise, veuve depuis six mois d’un mari qu’elle n’a connu qu’un mois, pendant que Lisette, sa servante, tente de l’« arranger ». Au même moment, le Chevalier se désole auprès de Lubin, son valet, de ne jamais pouvoir épouser Angélique. Cette similitude de situation provoque une grande amitié chez les deux personnages qui habitent en face l’un de l’autre. Parallèlement à cette histoire entre maîtres, Lisette et Lubin (qui lui aussi a perdu une maîtresse) tombent amoureux. Au fur et à mesure, les maîtres se rendent compte qu’ils sont épris de l’autre mais, ne sachant pas que cela est réciproque, entreprennent de cacher leurs sentiments. Le Chevalier décide donc d’épouser la sœur du Comte pour que la Marquise puisse épouser ce dernier, croyant qu’elle en est éprise, d’après ce que lui a dit Lisette, qui voit le bonheur de sa maîtresse dans le mariage. L’intrigue se résout lorsque Lubin donne à la Marquise une lettre que le Chevalier a écrit à son attention, tout en ne voulant point la lui donner. Elle découvre alors les sentiments du Chevalier et ils décident de se marier. Lisette et Lubin font de même.
Comme souvent dans la comédie, l’intrigue se joue à deux niveaux, les aventures des valets redoublant celles de leurs maîtres. Cependant, Lisette et Lubin ne se contentent pas de reproduire les sentiments de la Marquise et du Chevalier, ils les manipulent tels des marionnettistes.
Pleine de quiproquos et d’humour, la pièce tourne autour de cette “surprise” de tomber amoureux une “seconde fois” qui concerne le quatuor principal. Elle dévoile les sentiments humains d’une manière précise et fine et montre l’évolution progressive des émotions chez chacun des personnages.
Elle fait ressortir la personnalité propre à chaque personnage tout en mettant en lumière leur ressemblance. Ceci amène le spectateur à penser que leur fonctionnement n’est qu’assez commun. La distribution, remarquable, fait ressortir la complexité et l’ingéniosité du texte de Marivaux.
La diction très travaillée et le jeu des acteurs mettent en valeur le comique de la pièce. De quoi rions-nous : de la situation et des personnages ou de notre projection personnelle à travers eux ?
Graffiti a eu la grande chance de rencontrer Thomas Blanchard, qui joue Lubin, et de lui poser quelques questions :
Dans la comédie, les valets sont des personnages comiques récurrents. Qu’est-ce qui vous a paru original chez Lubin ? De quelle manière, par votre jeu, avez-vous essayé de le mettre en valeur ?
Lubin s’inscrit dans l'héritage des Arlequin de la comédie italienne. Il rit et il pleure presque en même temps : c’est le double masque du théâtre… Il y a donc cette dimension comique qui est importante. Néanmoins Marivaux a écrit cette pièce pour les comédiens de la Comédie française (après la première version pour les comédiens italiens) et dans cette seconde surprise Lubin est à la fois très naïf mais en même temps très actif dans le stratagème pour amener son maître à aimer la marquise. Il aime, comme son maître, pour la deuxième fois (Lisette après Marthon).
Ce que je trouve beau c’est qu’il s’interroge sur cela et que le conscient et l’inconscient se mêlent chez lui.
Le texte de cette pièce de Marivaux n’est pas particulièrement comique au premier abord, mais pourtant l’interprétation que vous donnez au théâtre de l’Odéon suscite beaucoup les rires. Pourquoi et comment avez-vous fait pour le faire ressortir tant ?
Le comique passe sans doute beaucoup par le corps mais en réalité tout est dans le texte.
Marivaux fait s’exprimer chaque personnage différemment et Lubin emploie des termes qu’il ne comprend pas toujours très bien (« embarras » par exemple) ce qui crée du malentendu ou du décalage.
Avec Lisette, il y a beaucoup de liberté dans le langage. Les maîtres sont dans un registre soutenu, beaucoup plus droit, vertical. Alain Françon, le metteur en scène, nous a dit que le langage des valets c’est comme de l’eau des ruisseaux : ça peut s’engouffrer partout. Cela permet d’être dans un imaginaire très ouvert.
Les textes de Marivaux sont dans une langue très écrite. Comment s’est passé le travail sur la langue ? Est-ce une langue et un texte facile à s’approprier ?
On a beaucoup travaillé sur la ponctuation qui est très particulière et sur le rythme de la langue. Il y a beaucoup de points virgule par exemple. Ou cinq points de suspension au lieu de trois. Cela demande beaucoup d’attention mais c’est passionnant car cela modifie quelques fois complètement notre approche d’une scène et notre interprétation. Alain Françon nous a essentiellement dirigé sur cela. Pas du tout sur des questions de psychologies des personnages.
Le travail était totalement concentré sur le texte et sa forme, comme une partition de musique.
Comment concevez-vous le personnage de Lubin, qui d’un côté paraît léger et d’un autre côté manipulateur envers les deux maîtres ? Que pensez-vous de la relation qui unit Lubin et son maître ? D’un côté il souhaite lui faire plaisir et se montre empathique ; mais de l’autre il est détaché. Agit-il pour servir ses intérêts, ceux de son maître, les deux ? Est-ce l’intérêt qui domine où y a-t-il de la place pour des liens affectifs ?
Par rapport à son maître, il y a l’obligation sociale : il fait ce qui convient au maître.
J’ai du mal à y voir beaucoup d’affect et, effectivement, il semble presque détaché, voire moqueur envers le chevalier à certains moments. Leur relation est beaucoup moins précise et exprimée que celle de Lisette et la Marquise.
Par ailleurs je pense que Lubin est dans la surprise de l’amour vis-à-vis de Lisette, c’est cela qui prime, qui bouleverse tout et le fait agir. Il y a peut être de la manipulation mais il y a aussi de la naïveté. Le texte reste ambigu sur cela. Je crois que tout se mêle et ce mystère est beau je trouve.
Venise Balazuc--Schweitzer
Source des images : theatre-odeon.eu