Que s'est-il passé à l'École pendant la Seconde Guerre mondiale ? Cette période a été marquée par beaucoup d' événements, à nuancer, à remettre en contexte. Cet article se propose de modestement transmettre au mieux cette histoire. Une histoire compliquée, une histoire riche mais surtout une histoire qui mérite d'être connue car elle reflète l' identité de l' École. Nous avons donc rencontré monsieur de Panafieu, le directeur de notre école, et nous avons replongé dans le livre de Georges Hacquard La tradition à l'épreuve.
Nous sommes au début du conflit, en 1939. L’ École alsacienne est un établissement particulier puisqu'il est déjà privé, mixte, laïque et cosmopolite. Il accueille tous les enfants, majoritairement du quartier, indépendamment de leur nationalité, de leur genre ou de leur croyance. La guerre est déclarée alors une nouvelle vie s'organise et l'on se prépare aux attaques et alertes. Le Conseil d'État œuvre afin de permettre la reprise des cours dès octobre 1939, alors que certains professeurs se sont engagés dans l'armée. L’École devient provisoirement à ce moment une sorte d'annexe du lycée Louis-le-Grand, auquel elle loue des locaux qui nous appartiennent aujourd'hui. L’ année scolaire est un peu écourtée suite à la décision de l'académie de Paris. À partir de ce moment, l'exode vers la zone libre entraîne la dépopulation de la ville de Paris. Avec moins d'élèves, l'équilibre économique de l'École est difficile, mais atteint grâce à des subventions de l'Université de Paris, donc du gouvernement. L'École est d'ailleurs l’une des rares écoles privées à en bénéficier. C'est ainsi que passe une première année de guerre à l'École alsacienne. Juin 1940, l'annonce de l'armistice prononcée par le maréchal Pétain est contestée par l'appel du général de Gaulle. Julien Monod, président du Conseil de l’Alsacienne, prend position. Il croit en l'armistice, ce qui l'amène à imaginer l'École dans l'idéologie de Pétain “Révolution Nationale”. Au cours de l'année scolaire 1941-1942, la subvention est doublée et Monod exprime sa gratitude au gouvernement du régime de Vichy.
En parallèle, la guerre a affecté la vie quotidienne des élèves. On peut s'en apercevoir en remontant le temps à travers les photos de classe. On voit d'une part la détérioration des conditions de vie mais de l'autre côté, l'émergence d'une forme de résistance. En conséquence du rationnement alimentaire, les jambes s'affinent. En conséquence des cartes de textile, on improvise des chaussures. En conséquence des menaces de bombardement, on garde des masques à gaz près de soi. En réponse au régime autoritaire, on voit apparaître au fil des années des signes du mouvement Zazou. On voit notamment que les garçons gardent leurs cheveux plus longs et portent moins la cravate. En 1943, on ne voit toujours pas d'étoile jaune.
D'autres actions de résistances entreprises par des élèves et des professeurs de l'École se multiplient. On pourrait ainsi nommer Jean Arthus et Lucien Legros, deux des cinq martyrs de Buffon, morts en héros. Il y a aussi MM. Hamon célèbre pour son comité d'action contre la déportation, Vercors auteur du Silence de la mer, Villate qui organisait des cours clandestins de maniement d'armes, Tissier membre des Forces Françaises Libres (le même que celui qui a ramené le canon de l'École, cf. Graffiti n°33). Ou encore Mmes. Debu-Bridel qui assure la liaison entre le Conseil National de la Résistance et différents autres groupes parisiens, de Lipkowski qui se fabrique une étoile jaune munie de la mention “Budhist”. M. Oudin crée son journal clandestin Le Tigre (plus de 450 000 tirages !). M. Boegner, chef des églises protestantes de France, ose dénoncer les agissements antisémites du régime de Vichy. M. Christian Pineau, co-fondateur du mouvement Libération nord, dont le drapeau est exposé dans le hall du bâtiment 5 (cf. Graffiti n°33). Pourtant, face à toutes ces figures, il y a aussi un autre parti, avec lequel elles ont coexisté. Cet autre parti, c'est celui de l'antisémitisme. Nous avons l'exemple d' un professeur peu apprécié de ses collègues, M. Rouault. Il est le vainqueur, si l'on peut appeler cela une victoire, du prix Edouard-Drumont. Tenant son nom du “célèbre” antisémite, ce prix vise à récompenser le meilleur essai… antisémite sans surprise. Le racisme a laissé des victimes, Claude Sarraute en est un exemple. Durant sa scolarité à l'École, elle a été victime de propos antisémite. Il y a aussi M. Isorni, qui a défendu des résistants… puis qui a été l'avocat du maréchal Pétain !
Pendant ces six années, l'École a continué de fonctionner, même si elle a été marquée par de nombreux mouvements, d'arrivées et de départs d'élèves. Les changements d'adresses d'élèves juifs étaient également très nombreux, puisqu'ils leur permettaient dans une certaine mesure de mieux se cacher. L’École reçoit toujours des subventions qui lui permettent de s'en sortir financièrement. Les Allemands ne sont jamais intervenus, ni pour perquisitionner, ni pour arrêter… alors qu’ils auraient pu se méfier à cause de la dénomination de l'Ecole : “alsacienne”. Ce qui est important à souligner ici, c' est que les trois élèves qui sont morts dans les camps nazis ont été arrêtés en zone sud où sur la ligne de démarcation. Malgré le régime autoritaire alors en place, malgré les atrocités du quotidien, personne n'a dénoncé et des élèves juifs ont passé la guerre. La résistance a vaincu l'occupation et l'École alsacienne est restée une institution où l'on enseignait l'instruction et l'éducation, une institution où la diversité régnait.
En ce moment, à l'École, la question du racisme refait de nouveau surface. Face à ce problème, se pencher sur notre histoire et en tirer des leçons est intéressant. L'histoire de l'École alsacienne pendant la Seconde Guerre mondiale nous montre comment les élèves ont su résister ensemble contre l' oppression et le racisme. Malgré le fait qu’antisémites et résistants ont cohabité, l'École a conservé ses valeurs d'égalité et de respect.