Lors d’une récente conversation avec Monsieur Pierre de Panafieu, directeur de l'École alsacienne, il a évoqué la Semaine sanglante de 1871 comme l’un des événements marquants de l'histoire parisienne. La Commune de Paris nous ramène à quelques années avant la création, en 1874, de l’Alsacienne. Elle est liée également à un aspect emblématique du paysage parisien : les fontaines Wallace, dont une se trouve à proximité de l'École, sur la place Vavin. Plongeons nous dans cette curieuse histoire.
Les répercussions de la défaite de la guerre franco-prussienne de 1870-71
Le 2 septembre 1870, le revers de Napoléon III à Sedan le contraint à l’exil en Angleterre jusqu’à sa mort en 1873 : contrairement à son oncle, Napoléon Ier, sa dépouille n’a jamais été rapatriée en France. Cette défaite a des conséquences majeures :
D’abord la chute du Second Empire suivie de la mise en place d’un gouvernement provisoire de défense nationale et de la proclamation de la IIIe République, le 4 septembre, par Gambetta. Mais la guerre se poursuit. Les Prussiens s'installent à Versailles et entament un siège de Paris. La capitale est bombardée par les troupes dirigées par Bismarck et Guillaume Ier, ainsi que leurs alliés : 500 obus tombent pas loin de l'École, dans et autour du jardin du Luxembourg en janvier 1871.
Alors, ce premier gouvernement de défense nationale finit par signer un armistice et entame les négociations pour le traité de paix à Versailles puis à Francfort. Afin de légitimer et ratifier ce traité, en tant que République, il fallait élire une vraie Assemblée nationale chargée de nommer par la suite un chef du gouvernement, qui sera Adolphe Thiers. Fait curieux : cette Assemblée de la IIIe République était majoritairement royaliste et favorable à une paix “coûte que coûte”. C’est à Paris que se trouvaient des députés républicains — dont se méfiait le Gouvernement versaillais—, et qui souhaitaient poursuivre la défense de la capitale. En effet, pour la France, les conditions de l’armistice et du traité de paix étaient très dures : la perte de l'Alsace et d'une partie de la Lorraine (la Moselle), une lourde indemnité de guerre de 5 milliards de francs-or, Thiers accepte même un défilé des troupes prussiennes dans Paris ! Tout cela entraîne un sentiment d’humiliation et, en même temps, un sursaut patriotique au sein de la capitale ! Des émeutes éclatent. Thiers veut désarmer Paris en enlevant les canons, destinés à protéger la capitale, entreposés à Montmartre et à Belleville.
La Commune de Paris et la semaine sanglante de mai 1871
Les Parisiens s’en insurgent et décident alors de constituer une sorte de gouvernement “parallèle” à ce gouvernement versaillais, un gouvernement insurrectionnel révolutionnaire pour diriger la capitale : c’est la Commune de Paris. Celle-ci restera en place pendant une très courte période, 72 jours, du 18 mars au 28 mai 1871, et a marqué de façon indélébile Paris et notre histoire. Parmi les communards, figurent Louise Michel, le peintre Gustave Courbet ou encore Jean Baptiste Clément qui a écrit une chanson qui est réinterprétée jusqu’à nos jours, Le Temps des cerises.
Paris, qui avait déjà beaucoup souffert pendant le siège des troupes prussiennes, se voit attaqué désormais par les troupes françaises versaillaises ! La répression de Thiers a été impitoyable. La violence qui succède est énorme. Paris est incendié : l’hôtel de Ville, le palais d’Orsay, le palais des Tuileries… sont en flammes !
Les morts dans la capitale se comptent par milliers : entre 10 à 20.000 communards sont exécutés. C’est la Semaine sanglante !
Cette guerre civile se passe sous les yeux des occupants allemands. Pendant cela, sur notre sol, Bismarck et ses alliés s’unissent pour former l’Empire allemand ‒ le IIe Reich ‒, avec la proclamation, dans la galerie des Glaces du château de Versailles, de Guillaume Ier en tant que Kaiser, empereur allemand. Ce IIe Reich succède au Saint Empire romain germanique, fondé par Otton Ier, Otto der Große, en 962, et qui avait été aboli par Napoléon Ier en 1806.
Les réfugiés de 1871
Avec la perte de l’Alsace-Moselle, les Français qui optent pour conserver leur nationalité doivent quitter ces territoires. Certains viennent à Paris. Comme beaucoup sont protestants, ils ne souhaitent pas aller dans l’école publique ni dans l’école catholique privée. Ils décident de créer une école laïque. Celle-ci sera d’abord installée au 36 rue des Écoles, puis au n°3 de l’avenue Vavin (84-86 rue d’Assas), et enfin dans notre actuelle 109 rue Notre-Dame-des-Champs : c’est l’Ecole alsacienne dont nous fêtons les 150 ans en 2024 et dont le but premier était de “produire un type d’homme cultivé qui alliât aux vertus de l’âme régionale les qualités générales de l’humaniste”.
Les fontaines Wallace : 152 ans d’élégance et d’eau potable gratuite à Paris
Pendant la Commune de Paris, monuments, infrastructures et canalisations ont été alors détruits à Paris. L’accès à l’eau potable était absolument crucial. C'est ainsi qu'en 1872, Sir Richard Wallace, philanthrope Londonien mais Parisien de cœur, décide d'offrir des fontaines publiques d’eau potable à sa ville d’adoption. De 70 offertes au départ, Paris en compte aujourd’hui plus d’une centaine. Grand amateur d’art et esthète ‒ la Wallace Collection à Londres vaut grandement la visite‒, il confie la réalisation des fontaines à Charles-Auguste Lebourg.
Wallace avait imaginé deux types de fontaines : à cariatides, la plus connue et une murale, en applique, de couleur verte à l’instar du mobilier urbain conçu sous Napoléon III. En fonte, les grandes fontaines sont conçues en 3 parties : le socle, la partie centrale et le dôme. Les quatre cariatides, qui soutiennent un petit dôme surmonté de dauphins, sont toutes différentes : par la position des genoux, des pieds, ainsi que le drapé. Elles symbolisent la bonté, la simplicité, la charité et la sobriété, ce dernier point étant une allusion à la consommation d'alcool que Wallace souhaitait limiter dès cette époque.
En 1877, afin de répondre aux demandes des Parisiens d’avoir davantage de fontaines, d’autres modèles plus simples sont créés : à colonnettes, à la place des cariatides, et les petites fontaines qu’on retrouve souvent dans les parcs et jardins. Souvent vertes, il existe cependant de fontaines colorées dans le 13e et le 20e arrondissements.
Les fontaines Wallace font partie intégrante du paysage parisien et continuent de nous fournir de l'eau potable et gratuite : leur nettoyage régulier et leur entretien sont réalisés par l’Eau de Paris. Cheers!
Frédéric LUCAUSSY SVIATOPOLK-MIRSKY
Pour en savoir plus, je vous invite à découvrir ces sites :
Sur la Commune de Paris
Sur les fontaines Wallace :
Sources des images :
- Anton Von Werner, Proclamation de l’Empire allemand, 1885 (Wikimedia Commons)
Fotoreproductie van een prent van de branden tijdens de Bloedige week van de Commune van Parijs in 1871 CCO
- Les canons des parisiens sur la butte Montmartre, le 18 mars 1871, photographe inconnu, domaine public wikipédia
Une anecdote : le quartier de La Défense doit son nom à la statue de Barrias qui s’y trouve et qui rend hommage à la défense de Paris pendant cette guerre.