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Photo du rédacteurAlexandre Barbaron

Cyrano par l’ATEA : une pièce qui ne manque pas de panache

Des classes amputées de certains élèves comédiens, les affiches dans les couloirs, les flyers dans les commerces du boulevard du Montparnasse : chaque année, les semaines de représentations de l’ATEA-printemps ont souvent les mêmes signes avant-coureurs. Suit un sentiment d’excitation collectif qui se répand plus vite qu’un coronavirus. Les réservations. La tension qui monte pour les acteurs, qui ont passé, pour certains, la moitié de leurs vacances à tout préparer, terminer les décors et construire les détails. Puis, enfin, la première.


Après Brecht en 2023, la troupe de l’École s’attaque cette saison à Rostand et Shakespeare ; ce jeudi 26 avril, c’est le Gascon au grand nez qui est à l’honneur. La salle est remplie. On ne distingue presque aucun siège vide. L’ambiance est conviviale, le public impatient. « J’étais là l’année dernière, et c’était bluffant. Je croise les doigts pour que ce soit aussi bien ! » espèrent certains. « Ma meilleure amie joue ce soir », explique une lycéenne à ce qui semble être une mère d’élève. Le directeur du grand-collège prend le micro, rappelle d’éteindre les téléphone portables, fait la promotion de la buvette officielle de l’atelier ouverte pour l’entracte et tenue par une mère d’élève ; et c’est le noir. Ou plutôt le sombre. Holà ! vos quinze sols ! La pièce est lancée, les répliques fusent, les acteurs se suivent. Un premier Cyrano retentissant, un vicomte de Valvert délicieusement orgueilleux : les personnages se dessinent. C’est d’ailleurs à ce niveau que se situait, précisément, le grand défi de cette mise en scène : il a été fait le choix ambitieux de faire jouer chaque personnage par plusieurs interprètes. Un défi relevé qui s’est retrouvé être un pari réussi. En effet, le plus grand danger de cette pièce est peut-être finalement sa plus grande force : le public n’est pas perdu dans l’histoire grâce, d’une part, au jeu fluide des jeunes adolescents, et d’autre part aux éléments de mise en scène comme les costumes et accessoires, ou les subtiles transitions musicales indiquant les changements de rôle. En fait, ces échanges se révèlent même être un procédé rafraîchissant : comme les acteurs ne cherchent pas à incarner les protagonistes exactement de la même manière, chacun apporte sa touche, et on se retrouve avec plusieurs caractères différents... Ce qui est surprenamment très agréable pour les spectateurs, qui n’ont pas le temps de se lasser, et qui, s’ils sont peu sensibles à une interprétation d’un comédien, se voient proposer une nouvelle version du personnage !


Dans le public, notamment pendant l’entracte, on entend beaucoup de commentaires sur le jeu des élèves. Il est vrai que tous incarnent très bien leur personnage, et personne ne serait étonné si l’un ou deux d’entre eux se retrouvait dans quelques années sur les planches de la Comédie- Française. Mais plus que leur jeu, ce qui est impressionnant dans cette équipe, c’est leur manière de vivre la pièce ensemble. Leur cohésion. C’est de voir des élèves de seconde déclamer face à des terminales, des camarades d’étude se serrant dans les bras ou se livrant à un duel acharné. De voir, aussi, à quel point le travail collectif permet d’arriver à un résultat si propre, si lisse, si impressionnant. Finalement, c’est cela qui est si beau avec l’ATEA. Voir ses camarades, ses amis se dévoiler. Ne pas pouvoir se retenir de sourire de fierté lors des applaudissements et du traditionnel salut. De découvrir, aussi, ceux de ses camarades qu’on ne connaît que de loin. Ou même de redécouvrir ceux, discrets, que l’on côtoie chaque jour en classe. Reconnaître cette fille, réservée en cours, au dernier rang, interpréter Cyrano fièrement et justement au centre de la scène. De la même manière, ces représentations permettent aussi aux professeurs de rencontrer d’autres faces de leurs élèves : ainsi, on entendait, l’autre jour, cette professeure d’anglais féliciter son élève en plein milieu de la terrasse des terminales - lieu on l’on aperçoit pourtant rarement les enseignants : « Je vous ai redécouverte ma chère Camille ».


Deux heures trente de déclamation, pas mal de rires, un peu d’émotion, et surtout, pas une seconde (ou presque) d’hésitation. Cette soirée est un régal. Comme d’habitude, la qualité est au rendez-vous, et on atteint un degré de professionnalité assez inouï. On sent que tout est réglé, préparé, maîtrisé : des textes aux lumières en passant par la musique - plutôt rare, mais toujours bien venue -, chaque élément joue parfaitement son rôle. Des regrets ? Assez peu. Peut-être le décor, moins vivant que dans le passé, mais équilibré par des costumes plus naturels. Et puis, il faut bien dire que cette représentation se termine d’une manière un peu spéciale : si certains n’ont pas encore versé de larme lors du dernier souffle du beau parleur, on peut en voir finalement craquer lorsque l’une des interprètes de Magdelaine qui fête ses 18 ans ce jeudi, reçoit, émue sur scène, un magnifique bouquet de fleurs, et que toute la salle entonne un Joyeux anniversaire Adèle.



Photographies : Antoine Bonfils

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