Le 15 avril 2019, un incendie ravageait Notre-Dame de Paris. Depuis un an, Axelle Ponsonnet fait partie des architectes qui travaillent à sa reconstruction. Le chantier étant interdit au public, elle a accueilli Graffiti sur le parvis pour raconter son métier.
Graffiti : Pouvez-vous vous présenter ?
Axelle Ponsonnet : Je suis une ancienne élève de l’École alsacienne, j’y ai étudié de la 8e à la terminale. Ensuite, j’ai fait des études d’architecture à l’École d’architecture de Paris Belleville, dont j’ai été diplômée l’année dernière. Je suis
sensible aux questions environnementales et écologiques, et c’est pour ça qu’à la fin de mes études, j’ai eu envie de travailler sur des bâtiments qui existent déjà plutôt que d’en reconstruire de nouveaux. Je voulais m’intéresser aux anciennes techniques de construction, et comprendre comment on construisait autrefois : il y a beaucoup de structures construites il y a très longtemps qui se détériorent bien moins vite que des constructions plus récentes. J’ai donc trouvé du travail dans une agence d’architecture spécialisée dans les monuments historiques appartenant à l’État - il y en a une cinquantaine en France. C’est comme ça que je suis arrivée sur le chantier de Notre-Dame.
G : Comment avez-vous réagi lorsque vous avez appris que vous travailleriez sur le chantier de Notre-Dame ?
A. P. : J’étais super contente ! Je ne pensais pas être prise car je n’avais pas fait d’études spécialisées dans le patrimoine ; je pensais que pour travailler sur un monument historique, il fallait être féru d’histoire ! Mais depuis mes études, je dessine beaucoup à la main, et c’est assez pratique sur un chantier comme celui-ci.
G : Quel est votre rôle sur le chantier ?
A. P. : Je fais partie de l’équipe qui travaille sur la charpente. Nous sommes quatre : une architecte ingénieure, une architecte reconvertie charpentière, un charpentier compagnon, qui est devenu architecte du patrimoine, et moi. Pour ma part, je travaille sur la couverture de plomb de la charpente : elle a complètement fondu. Mon rôle ? Je dois m'imaginer une goutte d’eau, et me demander comment faire pour l’empêcher de passer : il faut que le toit résiste aux différentes intempéries.
G : Allez-vous changer de matériaux pour la reconstruction ?
A. P. : La commission d’experts a décidé de reconstruire la charpente à l’identique. Le plomb, par exemple, a plein d’avantages, qu’ils soient constructifs ou écologiques : c’est un matériau très durable, plus que le zinc, très mou.
G : Allez-vous vraiment reconstruire la cathédrale comme à l’époque ?
A. P. : C’est ce qui est intéressant justement : Notre-Dame va être reconstruite à l’identique. Tout mon travail consiste à me mettre dans la peau d’un architecte du XIIe ou du XIXe siècle - selon les parties de la cathédrale. Pour reconstruire à l’identique, et pour que ce soit ressemblant visuellement, il faut utiliser des techniques de construction très anciennes. À partir d’une simple photo, je dois me demander quels types de bois, quels types de scies avaient été utilisés, comment les différentes parties étaient assemblées, comment les ouvriers travaillaient en hauteur… Il ne s’agit pas de reproduire sans se poser de questions : il faut réussir à comprendre toute une société, tout un processus.
G : Qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans ce travail ?
A. P. : Je ne m’imaginais pas que ce serait aussi complexe. Reconstruire à l’identique, c’est plus complexe que construire du neuf : il y a des obligations morales, il faut rester fidèle au bâtiment d’origine. Et pour nous qui travaillons sur la charpente, il n’y a plus rien. On est obligé de se baser sur des photos de touristes, des archives pour comprendre comment c’était avant… Un peu comme une enquête.
G : Combien de temps va prendre la reconstruction ?
A. P. : On dit que le chantier sera terminé en 2024 ; ça semble très compliqué, mais beaucoup de moyens sont mis en œuvre. Jusqu’à récemment, il y avait surtout des travaux de sécurisation : des statues menaçaient de tomber et de s’écrouler sur des voûtes… Des cintres ont donc été installés sous les arcs-boutants. Autre problème : lors de l’incendie, un échafaudage a complètement fondu et s’est scellé autour des murs-bahuts de la cathédrale ; s’il était tombé, il aurait détruit des voûtes. Pendant un an, des équipes de compagnons ont donc enlevé, tube par tube, le reste des échafaudages.
G : Que reste t-il à l’intérieur de l’église ?
A. P. : Il n’y a plus que des échafaudages un peu partout ; on ne distingue même plus les voûtes. Le chantier est toujours pollué par le plomb qui a fondu, et même si des travaux de dépollution sont en cours, il faut un habit spécial pour travailler sur le chantier. Actuellement, on doit être entre cinquante et cent personnes sur place, mais quand les travaux vont commencer on sera plusieurs centaines. Et c’est très enrichissant ! La plupart du temps, quand on est architecte, on travaille dans un bureau. Là on est tous sur le terrain, on travaille au même endroit ; on peut aller voir les différentes entreprises, leur poser des questions directement : “si je dessine ça, est-ce que c’est réalisable ?”. C’est une super expérience.
G : Qui est à la tête du chantier ?
A. P. : C’est Philippe Villeneuve, l’architecte en chef des monuments historiques. Il était responsable de la cathédrale quand elle a brûlé, et a décidé de faire appel à deux confrères pour la reconstruire - je suis embauchée par l’un des deux.
G : Souvenez-vous de là où vous étiez lors de l’incendie ?
A. P. : Oui, j’étais dans mon école d’architecture à Belleville. On était en train de travailler lorsque quelqu’un est arrivé en courant : “Notre-Dame brûle !”. On est monté sur le toit de l’école, et on a vu le feu, la flèche tomber. C’était très fort.
G : Comment devient-on architecte ?
A. P. : On fait une école d’architecture ! Il y a beaucoup d’écoles publiques, une privée, l’École Spéciale d’Architecture, et en moyenne il faut six ans d’études : licence + master + habilitation à la maîtrise d'œuvre en son nom propre - pour pouvoir signer des plans en tant qu’architecte.
Propos recueillis par Simone Faure