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Photo du rédacteurLouis Yoon-Seux

Annie Ernaux : La Place ou la culpabilité du lyrisme

En préambule de la cérémonie officielle de remise du prix Nobel qui se tenait samedi 10 décembre, avait lieu mercredi 7 décembre devant l’Académie un discours prononcé par le prix Nobel de la littérature, Annie Ernaux. S'ils avaient voulu jeter un pavé dans la mare du débat public en France, les jurés de l'académie Nobel ne s'y seraient pas pris autrement. Retour sur une carrière d’autrice et sur ses formes d’écriture très particulières : comment expliquer la controverse du style d’Annie Ernaux ?


En 1967, deux mois après avoir été reçue au concours de professeurs de lettres, Annie Ernaux perd son père. Elle décide de prendre la plume pour évoquer sa relation avec cet ancien ouvrier devenu propriétaire d’un modeste café-épicerie en Normandie. Mais pour la future agrégée, mariée depuis 1964 à un jeune homme issu de la bourgeoisie, écrire permet de témoigner de son attachement à son milieu populaire. De Passion simple à L'Événement, en passant par Journal du dehors, Annie Ernaux cherche à servir un projet : écrire sans trahir les siens.


Je rassemblerai les paroles, les gestes, les goûts de mon père, les faits marquants de sa vie, tous les signes objectifs d’une existence que j’ai aussi partagée. Aucune poésie de souvenir, pas de dérision jubilante. - Annie Ernaux, La Place

En 1984, Annie Ernaux connaît un véritable tournant de sa carrière en remportant le prix Renaudot pour son œuvre mondialement connue : La Place. Rendant hommage à son père, Annie Ernaux retrace la vie de ce paysan devenu ouvrier puis petit commerçant, qui, s’est efforcé toute son existence de conserver cette place sociale. Porté par le souci de réussir, il encourage sa fille à faire des études, qui, inexorablement, les éloigneront culturellement et socialement. Loin du déferlement d’images violentes de ses trois premiers romans autobiographiques, le roman inaugure ce que Annie Ernaux nomme “l’écriture plate”. Se voulant proche de l’écriture volontairement détachée de Camus dans l’Étranger, elle refuse toute charge émotionnelle afin d’atteindre une objectivité qui met à distance les événements. Elle rejette explicitement le parti de l’art, de la sophistication “bourgeoise” des mots pour s’inscrire dans une forme d’ascèse, d’écriture volontairement dépouillée. Dès lors, sa plume incisive devient un moyen d'atteindre et d’exprimer l’intime avec le plus de vérité possible mais aussi un moyen de renouer avec le langage de ses origines modestes. Trop peu littéraire pour les uns, la littérature d’Annie Ernaux serait ainsi résumée à une forme de chronique ordinaire de la société, trop quelconque, trop plate.


« La seule écriture que je sentais “juste” était celle d'une distance objective, sans affects exprimés, sans aucune complicité avec le lecteur cultivé. J'importe dans la littérature quelque chose de dur, de lourd, de violent même, lié aux conditions de vie, à la langue du monde qui a été complètement le mien jusqu'à 18 ans, un monde ouvrier et paysan », résume-t-elle dans L'écriture comme un couteau.


Louis Yoon-Seux

Source de l'image : RadioFrance

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