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Photo du rédacteurNina Curutchet-Trupin

Aide aux réfugiés ukrainiens : Opération Montparnasse

Alexandra (maman de deux filles scolarisées à l'École alsacienne) est franco-russe : russe de naissance, à Moscou, dans une famille russe, et française depuis son arrivée en France lorsqu'elle avait 6 ans. Elle a de la famille en Ukraine. Après l’annonce de l’invasion massive de l’armée russe en Ukraine, la France a vu arriver une vague de réfugiés ukrainiens, en grande majorité des femmes, des enfants et des personnes âgées.

Alexandra avait envie d’aider cette population civile. Pour ne pas perdre la tête face à ce drame et pour agir avec humanité. Un élan spontané a amené des russophones de Paris (+/- 400 personnes) à s’organiser pour se relayer pendant des mois dans les gares parisiennes. C’est aux côtés des agents de la SNCF et des bénévoles de la Croix-Rouge que les traducteurs-bénévoles ont contribué à l’organisation d'un accueil aussi digne que possible des exilés réfugiés en gare.


G. : Quand avez-vous commencé à aider les exilés ukrainiens et comment ?

Alexandra : Le 24 février 2022, j’étais comme de nombreuses personnes, sous le choc. Un choc puis l’envie d’agir. J’étais en disponibilité professionnelle à ce moment et j’avais donc du temps libre. Je savais que les réfugiés ukrainiens arrivaient par centaines en gare de l’Est. Mais j’habite au-dessus de la gare Montparnasse, et lorsque nous avons entendu parler de l’ouverture d’une cellule d’accueil là-bas, je suis spontanément descendue pour proposer mon aide. J’ai vite compris que mon rôle serait de traduire puisque les bénévoles de la Croix-Rouge étaient principalement francophones. Ces réfugiés avaient besoin de comprendre et de se faire comprendre. Étant donné qu’il n'y avait pas assez de traducteurs ukrainophones, le russe, parlé par la grande majorité des traducteurs que nous étions, est devenue la langue véhiculaire par défaut ; surtout pas une langue politique. Nous ne faisions pas de politique dans ce lieu de transit, nous ne véhiculions aucune idéologie ou activisme. Nous étions simplement là pour aider dans l’urgence et je peux compter sur les doigts d’une main, les fois où les exilés n’ont pas souhaité (ou n’étaient pas en capacité de) me parler russe.

L’autre rôle que l’on s’est donné, c’était d’écouter. Les réfugiés nous ont confié des récits de vie qui ne peuvent être partagés qu’avec un inconnu, dans un espace de transit, parce qu’il est parfois impossible de se confier à ses proches, dans le souci de les protéger, de ne pas les inquiéter.



Nous parlions […] Nous ne parlions pas de la guerre mais entretenions la conversation si la personne avait besoin d’échanger. Nous parlions de choses futiles aussi. Bénévoles et réfugiés, nous avons ri et pleuré ensemble.


Nous trouvions des solutions à tout un tas de problèmes. Nous proposions des sacs cabas pour remplacer les sacs plastiques ou bagages aux anses déchirées. Le premier train qu’ils prenaient en Ukraine était tellement plein, qu’ils n’étaient autorisés à l’emprunter qu’avec un petit sac par personne. L’un des murs vitrés de notre salle était couvert de dessins laissés par nos jeunes réfugiés. Nous avions des malentendants, des personnes en situation de handicap, des nouveaux nés ou des personnes en fin de vie. Certains exilés ne nécessitaient pas d’aide particulière, ceux qui parlaient anglais ou même français, ceux qui avaient pu s’organiser avant de partir, ceux qui avaient plus d’aisance financière, ne s’éternisaient pas dans notre salle ; ils étaient autonomes. Nous partagions notre quotidien avec les plus vulnérables.


Enfin, je me suis improvisée coordinatrice, par la force des choses, puisque j’étais l’une des premières bénévoles à venir aider à la gare Montparnasse et que j’y passais mes journées et parfois mes soirées. En plus des temps d’accueil des exilés, je m’occupais d’organiser le roulement des traducteurs bénévoles en gare et d'entretenir de bonnes relations avec la SNCF et la Croix-Rouge. Le rôle de chaque acteur devait être clair, sinon, « gare » aux conflits ! Et il était inenvisageable de rajouter de la tension à l’intensité de ce qui se jouait.






G. : À quoi ressemblait une journée de bénévolat auprès des réfugiés ukrainiens les mois où le flux était le plus intense ?

A. : À ce moment, nous avions près de 200 réfugiés par jour à la gare Montparnasse. Le matin, nous, traducteurs bénévoles, faisions des courses. Nous nous assurions que sur notre table-buffet, recouverte d’une belle nappe, il y avait : des fruits frais, du thé et du café, des sachets individuels de soupes lyophilisées, du pain, des compotes… Nous stockions dans une petite salle adjacente, des produits d’hygiène, des couches. La salle ouvrait à 9h du matin. Nous nous présentions et traduisions les demandes des réfugiés à la SNCF ou à la Croix-Rouge. Certains d’entre eux repartaient dans la foulée, d’autres attendaient le premier train de la journée qui n’était pas complet. S’il n’y avait plus de places, ils devaient passer la nuit au centre d’hébergement d’urgence. Nous parlions, sans jamais poser de questions intrusives, de questions dont la réponse ne nous permettrait pas directement de les aider. Nous ne parlions pas de la guerre mais entretenions la conversation si la personne avait besoin d’échanger. Nous parlions de choses futiles aussi. Bénévoles et réfugiés, nous avons ri et pleuré ensemble.



G : Comment avez-vous décidé d’éditer ce livre « Opération Montparnasse » ?

A. : Cette vague de réfugiés était historique. L’élan de bénévolat qui en a découlé aussi. Une de nos bénévoles, Svetlana, a pris des notes de ce qui s’est joué à la gare Montparnasse et en a tiré un texte en russe. Elle me l’a offert à la fin de notre aventure commune. La puissance de son témoignage et surtout sa capacité à avoir trouver les mots (qui nous manquaient terriblement) m’ont poussée à lui dire qu’on devait rendre ce texte public. Nous n’avons pas trouvé de soutien auprès des éditions russes et ukrainiennes, pour des raisons évidentes. Les maisons d’éditions françaises ne souhaitent pas se lancer dans un long périple de traduction. Nous avons donc créé une association, l’association KabiNET, qui poursuit l’action menée par notre collectif de bénévoles et qui donne de la visibilité aux aidants et aux aidés par la publication de livres. Avec l’auteur, nous avons financé l’édition du livre en russe. Nous avons un temps espéré un soutien financier pour éditer la partie française mais il n’est pas venu. Et puis, nous sommes novices dans cet univers et surtout, prises par un travail à plein temps et une vie de famille... Nous avons néanmoins rencontré un traducteur formidable et avons finalement décidé de nous lancer dans l’édition de la version française sans soutien financier. Cette version est enfin parue et, tout comme la version russe, la totalité des bénéfices de sa vente servira à aider les réfugiés. Les récits de la réalité poignante que nous avons partagée sont accompagnés des dessins numérisés des enfants ukrainiens de passage dans la gare Montparnasse. De même que je suis descendue, un jour, en gare pour proposer mon aide, j’ai porté ce projet de livre. Parce que j'avais le sentiment qu’il le fallait.




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